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Mali, Burkina, Bénin, Togo… Qui sont les champions locaux des engrais ?

En Afrique de l’Ouest, comme sur l’ensemble du continent, la situation est critique pour deux principales raisons. D’une part, la production locale d’intrants est très limitée, ce qui rend le secteur agricole dépendant des importations. D’autre part, les acheteurs – États, acteurs privés de l’agribusiness, coopératives ou encore petits paysans – disposent d’un budget contraint, tout en faisant face à des écueils logistiques qui compliquent l’accès aux produits.

Or, que ce soit pour les cultures d’export comme vivrières, les engrais apparaissent indispensables au maintien d’un bon niveau de production, ce qui garantit la sécurité alimentaire des pays et le dynamisme du secteur primaire, important contributeur au produit intérieur brut (PIB) des économies de la région.

Sur la zone ouest-africaine, cela représente un marché de 2,1 milliards de dollars, à raison de 3,5 millions de tonnes tout produit confondu en 2022, vendu en moyenne 600 dollars la tonne, selon l’International Fertilizer Development Center (IFDC, Centre international pour le développement des engrais), organisation à but non lucratif qui promeut l’accès aux engrais et la diffusion d’informations sur le secteur.

Alors que les maliens Toguna et DPA aspirent à un destin régional en Afrique de l’Ouest, plusieurs autres acteurs des engrais tirent leur épingle du jeu. Tour d’horizon.

LES BARONS OUEST-AFRICAINS DES ENGRAIS – Un paysage mouvant… mais pas trop. Voilà comment on peut décrire le monde ouest-africain francophone des fournisseurs d’engrais de la Mauritanie au Bénin en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Togo.

Ce milieu compte quelques acteurs bien installés – Solevo et Yara, champions régionaux qui ont fait de la Côte d’Ivoire une place forte, Sodeco de la galaxie Talon au Bénin ou encore les deux sociétés familiales et concurrentes Toguna et DPA au Mali – ainsi qu’une kyrielle d’importateurs-distributeurs de taille beaucoup plus modeste.A lire : 

Parmi eux, les nouveaux entrants sont rares et leur succès peut être aussi rapide que de courte durée en fonction de l’évolution du prix des intrants et, surtout, des résultats des appels d’offres organisés par les États pour l’approvisionnement des filières agricoles, notamment cotonnières.

Poids des appels d’offres

« En Afrique de l’Ouest, plus de la moitié des volumes d’engrais sont attribués par des appels d’offres étatiques », souligne d’emblée Samuel Goulinas, analyste marché des engrais de l’International Fertilizer Development Center (IFDC), organisation qui promeut l’accès aux fertilisants sur le continent. Cette spécificité, en mêlant considérations politiques et économiques, laisse la porte ouverte au mieux au lobbying, au pire à la corruption – un secret de polichinelle dans le secteur et sur lequel chaque acteur doit se positionner.A lire : 

« Il serait suicidaire de ne répondre qu’à des appels d’offres. Il y a une absolue nécessité de développer la distribution en propre à destination du secteur privé », assure ainsi un opérateur, sans que cette stratégie ne soit suivie par tous les acteurs.

Ces derniers, qui se fournissent auprès de grands producteurs mondiaux, dont le géant marocain des phosphates OCP, représenté dans la zone par Mohamed Hettiti, mais aussi auprès de négociants comme Ameropa, Nitron, Keytrade, ETG ou encore Fertagro, ont dû faire face ces trois dernières années à une conjoncture compliquée.A lire : 

La pandémie de Covid-19 puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont entrainé des problèmes d’approvisionnement et une flambée du prix des intrants, synonymes de contraction de la demande et de hausse des coûts. Cette situation a mis les trésoreries sous pression et certains opérateurs n’ont pu honorer leurs commandes. Pour autant, la majorité a serré les dents quand les plus solides ont consolidé leur empreinte. État des lieux.

Entre Toguna et DPA, une rivalité au-delà du Mali

À l’œuvre depuis plusieurs années, la compétition entre les deux acteurs de poids maliens, Toguna Agro-industries, de Seydou Nantoumé, et Doucouré Partenaire Agro-industries (DPA), d’Ibrahima Doucouré, se poursuit. Elle se joue au Mali, premier utilisateur d’engrais en Afrique de l’Ouest avec une consommation de près d’un million de tonnes, mais aussi au Burkina Faso et dans plusieurs autres pays de la zone.A lire : 

Côte d’Ivoire, Burkina, Mali… Sombre année pour le coton ouest-africain

Plus ancien et structuré, Toguna continue de répondre aux commandes publiques – il a été le plus important fournisseur de l’État mauritanien en 2022 et a soumissionné aux appels d’offres de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) et de la Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex) –, tout en développant la vente au secteur privé au Sénégal et en Guinée-Conakry, entre autres.

La (bonne ou mauvaise) fortune des acteurs est très liée au prix des fertilisants. © Mike Goldwater/Alamy/ABACA.
La (bonne ou mauvaise) fortune des acteurs est très liée au prix des fertilisants. © Mike Goldwater/Alamy/ABACA.

En face, DPA, challenger qui a su se faire une place, est davantage centré sur la réponse aux marchés publics, habitué des appels d’offres de la CMDT, de la Sofitex et de Fasocoton, autre société cotonnière du Burkina Faso. Cela ne l’a toutefois pas empêché de s’implanter en Côte d’Ivoire, où Toguna n’est pas présent. Selon nos informations, à l’issue du dernier appel d’offres de la CMDT, DPA a obtenu de livrer en propre quelque 35 000 tonnes, contre environ 1 000 tonnes de moins pour Toguna (des volumes qui n’incluent pas le rachat de contrats obtenus par des sociétés locales, une pratique très fréquente). Le résultat du processus mené par la Sofitex, auquel les deux acteurs ont participé, donne, lui, Toguna devant DPA toujours pour les volumes obtenus en propre, illustration du coude-à-coude à l’œuvre.A lire : 

Selon plusieurs experts sollicités, même si Toguna semble avoir davantage souffert que DPA de la période récente de flambée des prix, il conserve sa position de numéro un en volume total de ventes sur la zone ouest-africaine.

Tropic Agro Chem en forme au Burkina Faso

Toguna, DPA, les Industries chimiques fertilisantes de l’Afrique (IFCA) et Senefura du groupe ALM International, entre autres, ont beau avoir remporté des lots lors du dernier appel d’offres de la Sofitex (sans que l’on connaisse le détail), c’est un autre acteur, Tropic Agro Chem (TAC), qui a raflé la mise. La société de Sienou Al Hassane, président de la Chambre d’industrie et de commerce de Bobo-Dioulasso, a en effet remporté près de la moitié de la commande de 180 000 tonnes d’engrais de la première société cotonnière du pays.A lire : 

Cette attribution substantielle confirme que TAC a le vent en poupe ces dernières années, porté par le réseau et le sens des affaires de son fondateur. Ancien représentant de Toguna au Mali et au Burkina Faso, Sienou Al Hassane, après avoir construit sa réussite économique durant l’ère du président burkinabè destitué Roch Marc Christian Kaboré, parvient à maintenir le cap à l’heure du gouvernement de transition.

Statu quo pour Sodeco au Bénin

L’approvisionnement en engrais du Bénin – 270 000 tonnes de produits pour la campagne 2022-2023 – est depuis 2008 dans les mains de la Société pour le développement du coton (Sodeco), qui appartient à la galaxie de la famille présidentielle. La société fait en effet partie des Industries cotonnières associées (ICA), filiale de la holding Société de financement et de participation (SFP), dirigée par Lionel Talon, le fils du président Patrice Talon.A lire : 

Sodeco, avec à sa tête Serge Aderomou, assure la fourniture et la distribution des engrais sur l’ensemble du territoire national, tout en étant le premier égreneur de coton africain, avec une capacité de plus de 670 000 tonnes via 17 usines. Comme l’avaient révélé nos confrères d’Africa Business+, pour la campagne 2021-2022, Sodeco s’était entièrement fournie auprès du négociant Nitron, lui-même servi par le groupe marocain OCP.

Du changement au Togo ?

Gérée par le ministère de l’Agriculture via la Centrale d’approvisionnement et de gestion des intrants agricoles (Cagia), la fourniture d’engrais au Togo repose depuis plusieurs années sur un tandem : la société Elisée Cotrane, dirigée par Julie Béguédou, et le groupe Société technologique de distribution (STD), fondé en 2003 par Jacqueline Amivi Aka et actif dans d’autres secteurs, parmi lesquels l’énergie et les télécoms.A lire : 

La situation pourrait toutefois évoluer. Le géant singapourien Olam, qui a pris, en 2020, le contrôle de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT), importe les intrants dont il a besoin ; un autre groupe singapourien, NutriSource, dirigé par Murari Rakshit, un ancien d’Olam, doit mettre en service cette année une usine de production de NPK – sigle désignant les principaux ingrédients de ce type de fertilisant : l’azote (N), le phosphore (P) et le potassium (K) –, prévoyant de commercialiser quelque 60 000 tonnes d’engrais par an au Togo et dans les pays voisins. Et, fin mars, la Banque mondiale a livré au pays 34 000 tonnes de NPK fournis par OCP. Quant à la Société nouvelle des phosphates du Togo (SNPT), elle ne vend pas sur place la roche brute ensuite transformée en engrais, mais l’exporte, notamment en Inde.

Des petits poucets aux fortunes diverses

Outre ces acteurs établis, il existe une foule d’opérateurs locaux, généralement plus modestes, qui percent au gré des résultats des appels d’offres des sociétés cotonnières. Au Mali, c’est notamment le cas de la société Gnoumani de Diadié Bah et d’Afrique Auto de l’entrepreneur Abdoul Wahab Moulekafou.

Au Burkina Faso, Partenaire agricole, société enregistrée en 2004 à Bamako par Maouloud Ben Moctar, s’est fait remarquer au début de 2022 en remportant un lot de 30 000 tonnes de NPK pour la Sofitex.A lire : 

En Côte d’Ivoire, AgriTrade, co-fondé par Oumar Malick Niang et Gnamanzié Traoré, commercialise 20 000 tonnes par an, mais entend tripler ce chiffre dans les cinq ans en vendant sur le marché ivoirien mais aussi au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal. Quant à son compatriote Agro West Africa, fondé et dirigé par Zoumana Bakayoko, le frère aîné de l’ex-Premier ministre Hamed Bakayoko, décédé en mars 2021, il a vu ses activités se contracter ces deux dernières années.

Toujours dans la sous-région, le nom de deux autres opérateurs émerge – Maxime N’Guetta, fondateur d’Agriis et lié à la société Wafci, et Issa Koné, à la tête d’une société de transport –, sans que l’on puisse vérifier leur solidité.

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