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Le prochain supercycle minier sera différent des autres selon un rapport

Les politiques en matière de lutte contre le changement climatique pourraient entraîner l’un des plus grands redéploiements d’investissements et de capitaux.

Tilmann Galler – Global Market Strategist

Une révolution énergétique est en cours : les gouvernements se sont engagés à atteindre un objectif de neutralité carbone, tandis que les préoccupations plus récentes concernant la sécurité énergétique et les prix élevés font peser sur eux une pression croissante pour qu’ils accélèrent la transition énergétique.

Nous avons déjà évoqué le changement radical qui sera nécessaire dans tous les secteurs de notre économie pour atteindre ces objectifs (voir notre article Objectif « net zéro » : le passage obligé vers un monde neutre en carbone). Les matières premières et les pays qui les produisent seront au coeur de cette transition. Jusqu’à présent, l’accent a été mis sur les entreprises du secteur énergétique qui doivent gérer la baisse de la demande de combustibles fossiles. Pourtant, une demande énorme a émergé pour les métaux et les minéraux nécessaires à la construction d’infrastructures énergétiques renouvelables et de véhicules électriques (VE).

Dans cet article, nous analysons des scénarios permettant d’estimer l’ampleur et la rapidité de cette croissance de la demande, l’impact du comportement des entreprises sur l’offre et les perspectives qui en résultent pour les prix des matières premières. L’impact énorme et à long terme de la transition vers les énergies propres sur les matières premières offrira des opportunités intéressantes aux investisseurs qui souhaitent positionner leurs portefeuilles de manière à bénéficier de la transition vers la neutralité carbone.

Les ressources qui alimentent la transition énergétique

Les besoins en ressources d’un écosystème d’énergies renouvelables diffèrent énormément de ceux d’un système à base de combustibles fossiles. Contrairement aux centrales électriques au charbon ou au gaz, les panneaux photovoltaïques et les parcs éoliens ne nécessitent pas de combustible pour fonctionner, mais ils ont besoin de beaucoup plus de matériaux : remplacer une centrale électrique au charbon par une centrale éolienne offshore nécessite six fois plus de matières premières minérales (cuivre, zinc, nickel, chrome et terres rares) ; dans le cas d’une centrale au gaz, c’est 13 fois plus. La construction d’infrastructures photovoltaïques est moins gourmande en ressources, mais elle consomme tout de même trois fois plus de minéraux que la construction de centrales au charbon. En outre, la construction de nouveaux réseaux permettant de connecter l’offre et la demande d’électricité à l’échelle mondiale nécessitera des quantités importantes de cuivre et d’aluminium. Si la substitution de la production électrique à partir de combustibles fossiles par des énergies propres va réduire la demande de charbon et de gaz, elle modifiera fondamentalement la donne au sein du secteur en passant d’un système à forte intensité de combustibles à un système à forte intensité de matériaux.

La transition des moteurs à combustion vers des véhicules alimentés par batterie présente un schéma similaire. Par rapport à un véhicule traditionnel, un VE nécessite six fois plus de minéraux, en l’occurrence du lithium, du nickel, du cobalt, du manganèse et du graphite, qui sont des matières premières essentielles à la production de batteries (Graphique 1).

Graphique 1 : minéraux nécessaires dans la production de véhicules
Kg par véhicule

Source : AIE, J.P. Morgan Asset Management ; les intensités sont basées sur une cathode NMC 622 et une anode en graphite. La consommation réelle peut varier en fonction du choix de la technologie de la batterie. Données au 31 décembre 2021.

Estimer la vitesse de la transition pour estimer la demande

Outre l’intensité des matériaux, la vitesse de la transformation est cruciale pour estimer la demande future de matières premières. Bien que les demandes divergentes des responsables politiques puissent influencer le résultat, même le scénario le plus conservateur en matière de croissance des énergies propres suppose que les tendances politiques actuelles vont perdurer. Dans ce scénario prudent, la capacité mondiale de production électrique à partir de sources renouvelables devrait augmenter de 50 % d’ici 2030. À la fin de la décennie, la part de la production d’électricité d’origine renouvelable devrait passer de 14,8 % en 2018 à 19,2 %.

Le rythme de l’évolution du marché automobile est encore plus rapide, même si l’incertitude quant à la réalité chimique des batteries qui prévaudra au cours des dix prochaines années complique légèrement la projection de la demande de matériaux. Déjà, les ventes annuelles de VE et de véhicules hybrides rechargeables ont doublé pour atteindre 6,8 millions de véhicules en 2021 par rapport à 2020 (graphique 2) et devraient quintupler pour atteindre 19 millions d’unités d’ici 2030, à mesure que la législation et les subventions publiques à travers le monde entreront en vigueur. Par exemple, l’UE vise une réduction de 55 % des émissions de CO2 des nouvelles voitures d’ici 2030 et la fin du moteur à combustion d’ici 2035 ; la Chine vise une part de marché de 50 % pour les véhicules roulant aux énergies nouvelles (VEN) d’ici 2035 ; aux États- Unis, l’EPA a adopté des normes plus strictes en matière de gaz à effet de serre, qui exigent une réduction de 28,3 % des émissions d’ici 2026. Sur la base de ces hypothèses, la demande de métaux essentiels devrait augmenter de près de 70 % d’ici 2030, même dans ce scénario le plus prudent.

Graphique 2 : ventes annuelles de véhicules électriques
Millions

Source : EV-volumes.com, estimations de l’AIE, J.P. Morgan Asset Management. Données au 15 février 2022.

Mais à l’avenir, les responsables politiques feront probablement pression pour accélérer la transition vers des technologies propres car, au rythme actuel, les énergies renouvelables ne feront que compenser la demande supplémentaire d’électricité prévue, tandis que les émissions de CO2 resteront stables. Un scénario idéal de neutralité carbone avec des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions constitue les estimations de croissance de la transition énergétique et de la révolution des VE les plus optimistes. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime qu’un investissement supplémentaire de 1,3 milliard d’USD à l’échelle mondiale pourrait être nécessaire d’ici 2030 pour s’aligner sur les objectifs de l’accord de Paris sur le climat. La part du photovoltaïque et de l’éolien dans le mix énergétique devrait croître beaucoup plus rapidement, pour atteindre 48 % en 2030.

Dans un scénario de neutralité carbone, l’élimination progressive du moteur à combustion est avancée et les ventes de véhicules électriques devraient atteindre 40 millions en 2030 et plus de 70 millions en 2040 ; cette évolution doit être soutenue par des investissements substantiels pour construire plus de 200 millions de stations de recharge d’ici 2030, selon les estimations de l’AIE, ce qui entraînera une consommation importante de cuivre. Dans ce scénario, la demande de métaux essentiels pourrait augmenter de près de 110 % d’ici à 2030.

En synthèse, la vitesse est importante : en fonction de l’accélération de la transition vers des technologies propres, la demande de minéraux essentiels pourrait augmenter de 70 à 110 % d’ici à 2030, en plus de l’augmentation de 50 % enregistrée au cours de la dernière décennie (Graphique 3).

Graphique 3 : demande totale de minéraux essentiels en fonction des scénarios
Mt (mégatonnes)

Source : AIE, J.P. Morgan Asset Management. Données au 31 décembre 2021.

L’impact du comportement des entreprises sur l’offre

La bonne nouvelle concerne les réserves mondiales de minéraux essentiels, qui sont suffisamment importantes pour couvrir les besoins en ressources de la transition mondiale vers la neutralité carbone. La question cruciale est de savoir si les compagnies minières peuvent faire face à cette augmentation massive de la demande au cours des dix prochaines années.

Il est toutefois préoccupant d’observer que le secteur des matières premières a réduit ses investissements par rapport aux ventes ces dernières années. Le Graphique 4 montre qu’historiquement, il y a toujours eu une corrélation positive entre les investissements dans de nouveaux projets (capex) et la distribution de dividendes aux actionnaires. Le dernier cycle haussier du marché des matières premières, entre 2004 et 2012, a été marqué par une forte demande, une hausse des prix et des bénéfices élevés. Les producteurs de matières premières ont investi massivement dans de nouveaux projets et ont également augmenté le montant des dividendes, mais lorsque tous les projets ont démarré, les marchés se sont retrouvé saturés et le cycle haussier a pris fin. Les entreprises ont alors réduit leurs investissements et leurs dividendes jusqu’à ce que l’environnement des prix s’améliore à nouveau entre 2013 et 2016.

Graphique 4 : Dépenses d’investissement par rapport au CA et dividendes des secteurs de l’énergie et des matériaux au sein de l’indice MSCI ACWI

Ratio des dépenses d’investissements des douze derniers mois par rapport aux ventes des douze derniers mois en % (gauche) ; dividende par action en USD (droite)

Source : Bloomberg, MSCI, J.P. Morgan Asset Management. Les performances passées ne sont pas des indicateurs fiables des performances actuelles ou futures. Données au 31 janvier 2022.

Mais depuis 2017, les dividendes ont augmenté et les investissements ont stagné. Nous identifions plusieurs raisons à ce changement de comportement de la part des entreprises. Tout d’abord, après le dernier supercycle, les bilans de nombreuses entreprises du secteur des matières premières étaient fortement endettés en raison d’une forte activité d’investissement et d’acquisitions coûteuses. Les dirigeants ont alors ressenti le besoin de réduire leur niveau d’endettement. Deuxièmement, l’Accord de Paris a renforcé la réglementation environnementale et sensibilisé le public et les investisseurs aux dégâts environnementaux provoqués par l’exploration et l’extraction. En conséquence, les directions des groupes miniers et énergétiques préfèrent désormais distribuer leurs flux de trésorerie aux actionnaires plutôt que d’investir dans de nouveaux projets qui risquent de faire l’objet d’un contrôle de la part des autorités de réglementation et d’une réaction négative du public.

Que cela signifie-t-il pour les perspectives d’approvisionnement ? Le ralentissement des investissements met en péril l’approvisionnement futur en minéraux essentiels, car il faut de trois à dix ans pour développer une mine de lithium et de cinq à quinze ans pour le cuivre, le nickel et autres métaux industriels. Ainsi, le déficit d’investissement de ces quatre dernières années pourrait se traduire par un déficit d’approvisionnement entre 2025 et 2030. À court terme, les marchés de matières premières les plus essentielles semblent suffisamment approvisionnés. Mais même dans le scénario de croissance de la demande le plus conservateur, plusieurs matières premières essentielles tels que le cuivre, le nickel, le cobalt et le lithium, devraient connaître une pénurie à la fin de la décennie. Si les responsables politiques mettent en oeuvre des stratégies plus ambitieuses visant la neutralité carbone, plusieurs marchés de matières premières pourraient devenir déficitaires d’ici trois ans.

Perspectives des prix des matières premières et conséquences pour les investisseurs

Même le scénario d’accélération de la demande le plus prudent va fortement stimuler les prix des matières premières dans les années à venir. Les prix au comptant des métaux industriels ont déjà augmenté ces dernières années (Graphique 5). Nous pensons que la transition vers les technologies propres est en train de déclencher un nouveau supercycle pour les matières premières essentielles, dont les entreprises de ce secteur sortiront gagnantes.

Graphique 5 : Évolution des prix des minéraux essentiels à l’énergie propre

Niveau d’indice, base 100 en décembre 2016

Source : Bloomberg, J.P.Morgan Asset Management. Les performances passées ne sont pas des indicateurs fiables des performances actuelles ou futures. Données au 31 janvier 2022.

Il est quelque peu ironique que les compagnies minières soient les gagnantes d’un avenir plus écologique. Les matériaux de base représentent 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et les opérations minières causent souvent des dégâts importants à l’environnement. Dans une perspective plus large d’un point de vue environnemental, social et de gouvernance (ESG), il peut également y avoir des problèmes de santé et de sécurité, ainsi que de corruption dans certains domaines du secteur.

Il est clair que l’industrie minière est en partie responsable du problème des émissions de CO2, mais elle contribue également à la solution. Nous pensons que l’engagement et le dialogue auprès des entreprises peuvent réduire l’écart entre les lacunes structurelles du secteur et le résultat durable souhaité, et qu’ils sont plus productifs que l’exclusion pure et simple. Encourager les compagnies minières et leurs fournisseurs à effectuer la transition des combustibles fossiles vers l’électricité verte peut réduire considérablement leur empreinte carbone. De nombreuses entreprises cotées en bourse se préoccupent déjà attention des objectifs en matière de développement durable, et ont commencé à modifier leur comportement en conséquence.

Conclusion

Nous pensons que les politiques en matière de lutte contre le changement climatique pourraient entraîner le plus grand redéploiement d’investissements et de capitaux en temps de paix. Les entreprises de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des technologies propres devraient bénéficier structurellement de cette tendance. Tandis que le marché intègre dans ses cours une transformation énorme de l’industrie automobile mondiale, les valorisations du secteur minier (8x les bénéfices) ne semblent pas excessives. Un nouveau supercycle des matières premières pourrait être à l’origine d’un bouleversement à long terme de l’économie mondiale, et d’une rotation tout aussi fondamentale des marchés actions des valeurs de croissance au profit des titres « value ».

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