La vérité sur la lucrative “mine responsable” soutenue par Arnaud Montebourg
Par David Bensoussan et Clément Fayol le 04.09.2022 à 08h30 Lecture 6 min.
La start-up AMR, soutenue par Arnaud Montebourg et de grands noms du business français pour exploiter de la bauxite en Guinée, est visée par la justice.
Exploration d’un gisement de bauxite à Boké, en Guinée. La filiale locale d’Alliance Minière Responsable (AMR) a encaissé de 21 à 28 millions d’euros de redevances selon les années. Mais ne déclarait que de modestes bénéfices.
SP
Belle photo de famille. On y retrouve l’ancien ministre Arnaud Montebourg, l’ex-patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, et Edouard Louis-Dreyfus, président de l’armateur du même nom. Ils entourent Romain Girbal et Thibault Launay, les trentenaires qui ont eu cette idée folle d‘exploiter une mine de bauxite en Guinée. Leur start-up, Alliance Minière Responsable (AMR), fait alors “chavirer le Tout-Paris”, titre Les Echos en 2016. Mais, aujourd’hui, la pépite sent le soufre. La production, qui dépassait les 14 millions de tonnes par an, est à l’arrêt et son “parrain” Arnaud Montebourg ne veut plus en entendre parler. Pire, le parquet national financier a ouvert une enquête sur des soupçons de corruption et de fraude fiscale. Et, selon nos informations, Romain Girbal a même été entendu l’an passé par les gendarmes dans une autre affaire portant sur le grand banditisme corse.
De prestigieux investisseurs
L’aventure avait pourtant bien commencé. Au début des années 2010, l’exploitation de la bauxite, principal minerai servant à la fabrication de l’aluminium, est en plein boom en Guinée. Romain Girbal connaît bien le pays. Son père, un ancien policier, a été en poste à l’ambassade française à Conakry. Ses contacts l’aident à décrocher un permis de recherche. Pour financer les études préalables, avec son ami Thibault Launay, ils cherchent à monter un tour de table. Tout juste sorti du ministère du Redressement productif, Arnaud Montebourg accepte de leur donner un coup de main à condition qu’ils fixent leur siège en France et développent une approche sociale et environnementale. C’est la “mine responsable”.
Le chantre du Made in France embarque son ami banquier d’affaires Arié Flack. De quoi rassurer de grands noms du capitalisme tricolore comme Louis Dreyfus Armateurs, qui souhaite se charger de la logistique. Au culot, les entrepreneurs sollicitent aussi le fondateur de Free, Xavier Niel, qui met 250.000 euros. Ce dernier nous précise n’avoir jamais rencontré les start-uppers dont il n’a plus de nouvelles. A l’inverse, Anne Lauvergeon, qui cherche à se refaire après la débâcle d’Areva, s’implique largement dans le projet.
Elle rencontre le président Alpha Condé à Conakry, en 2016, devant les caméras de la télévision d’Etat.
En juin 2017, AMR obtient le droit d’exploiter, durant quinze ans, un gisement de 148 km2 dans la région de Boké. Une semaine plus tard, ses dirigeants signent, sous le patronage de l’ambassadeur de France, un partenariat avec la Société minière de Boké (SMB), qui se chargera d’exploiter et de transporter la bauxite, en échange du versement d’une redevance. Au grand dam de Louis Dreyfus Armateurs. “C’était la raison de notre investissement, nous sommes désormais un actionnaire dormant (à 4%)” , précise son directeur général. Créée en 2014, la SMB est un consortium emmené par le mastodonte chinois de l’aluminium, China Hongqiao, à qui est destinée la bauxite. Devenue le premier producteur du pays sous Condé, elle s’attire les critiques de l’ONG Human Rights Watch, qui pointe, dans un rapport de 2018, le manque de retombées positives pour la population. “C’était une opportunité de lancer la production plus rapidement, à condition que notre cahier des charges environnemental et social soit totalement repris par la Société minière de Boké, assure Sonny Doumbouya, le gérant d’AMR en Guinée. C’était un point décisif du contrat.”
Profits siphonnés à Hong-kong
Le deal s’avère surtout très lucratif. La filiale locale d’AMR encaisse de 21 à 28 millions d’euros de redevances selon les années, soit environ 1,50 euro par tonne de bauxite expédiée. Mais, étrangement, ses bénéfices restent modestes: 578.000 euros en 2018, 312.000 euros en 2019 et 935.000 euros en 2020. En réalité, comme l’a révélé Libération , les profits sont siphonnés par une société basée à Hong-kong, Rock Ocean, dirigée par… Thibault Launay. Rock Ocean a facturé à AMR de multiples prestations de services (contrôle qualité, conseil en environnement, etc.), minimisant ainsi le bénéfice imposable en Guinée. Selon le quotidien, la manœuvre a profité aux actionnaires de Rock Ocean: Girbal et Launay (43% du capital) et les prestigieux participants au tour de table.
Ces acrobaties financières ont incité un collectif d’opposants guinéens et l’ONG Tournons La Page à déposer plainte en France. En septembre 2020, le parquet financier confie une enquête à l’office central anticorruption, l’OCLCIFF. Les policiers s’interrogent sur les conditions d’obtention du permis minier et le rôle d’Anne Lauvergeon auprès du régime Condé. Un article du Media évoque l’embauche de la nièce de Mohamed Diané, bras droit du président guinéen, ce que dément Sonny Doumbouya. Depuis, une junte militaire a pris le pouvoir à Conakry et Diané a été jeté en prison. Surtout, AMR et la SMB ont cessé leur collaboration en mars 2022. “Les opérations sont à l’arrêt et je suis en discussion pour trouver un autre partenaire ou d’autres solutions”, avance Sonny Doumbouya.
Virements vers la Corse
Les enquêteurs s’intéressent aussi au patrimoine accumulé par Thibault Launay et Romain Girbal, qui n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Toujours actionnaires, les deux compères n’ont plus de responsabilités opérationnelles. Ils jouent désormais les business an-gels et vendent de l’immobilier de luxe dans le monde virtuel du méta-vers. Exilé à Dubai puis en Suisse, détenteur d’un compte bancaire aux Bahamas, Romain Girbal mène grand train. Il collectionne antiquités et œuvres d’art contemporain, roule en 4×4 Mercedes et en Porsche 911. La mine lui aurait rapporté 3,5 à 4,5 millions de dollars par an. C’est du moins ce qu’il a déclaré aux gendarmes qui l’ont interrogé, en janvier 2021, dans une autre affaire.
Il a en effet des fréquentations corses qui lui ont valu d’être entendu dans une enquête sur le grand banditisme dans le sud de l’île. Les gendarmes ont identifié des virements depuis son compte bahamien à destination d’Antony Perrino, magnat corse du BTP, soupçonné d’aider la bande mafieuse du “Petit Bar” à blanchir de l’argent sale.
D’après Girbal, ces flux correspondent à l’achat de deux Rolex pour 850.000 euros. Les deux hommes se sont rencontrés chez un ami commun, qui figure d’ailleurs parmi les actionnaires d’AMR: Jean-Pierre Valentini, ancien cadre de Trafigura, géant mondial du trading pétrolier, mis en examen pour blanchiment et association de malfaiteurs dans cette enquête corse. On est loin de la “mine responsable”.