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3 scénarios sur le futur du lithium en Europe

La demande de lithium explose partout dans le monde, et cela ne fait que commencer. En Europe, l’inquiétude grandit : en aura-t-on suffisamment pour alimenter la production de batteries des voitures électriques ? Faut-il relancer l’activité minière ? Plongée dans les futurs possibles d’un métal qui concentre les convoitises.

Il s’arrache en ce moment à prix d’or. En 2021, la valeur du carbonate de lithium vendu par la Chine, plus gros producteur mondial de lithium transformé, a été multipliée par cinq, propulsée par l’explosion des ventes de véhicules électriques. C’est peu dire que ce métal, utilisé depuis plus d’un siècle pour soigner les troubles bipolaires, a acquis une notoriété nouvelle dans le contexte de la transition énergétique et de l’électrification du parc automobile. En Europe, la demande pourrait être dix-huit fois plus importante en 2030, et jusqu’à soixante fois plus d’ici à 2050, projetait la Commission européenne en 2020. Y aura-t-il assez de lithium pour faire tourner les 38 méga-usines de batteries prévues sur le continent dans les années à venir ? Si la pénurie n’est pas (encore) à l’ordre du jour, des tensions sur les approvisionnements devraient se faire sentir dès cette année sur le marché mondial, avec une offre évaluée à 636 000 tonnes pour une demande de 641 000 tonnes, selon les prévisions du cabinet Standard & Poor’s.

À quoi ressemblera le marché du lithium dans les prochaines années ? De la relance de l’activité minière en Europe aux espoirs portés par des méthodes d’extraction alternatives censées être plus « responsables », nous avons exploré trois scénarios pour imaginer l’avenir de cette ruée vers l’or blanc.

Scénario 1 : Une Europe bientôt autosuffisante en lithium ?

« Presque autosuffisants en lithium pour nos batteries » à l’horizon 2025. Tel était l’objectif annoncé par la Commission européenne en septembre 2020, sur la base des projets miniers en cours d’élaboration. Une ambition de taille quand on sait à quel point l’Europe part de loin sur ce marché aujourd’hui dominé, en termes de capacités de production, par l’Australie (48,7 %), le Chili (21,9 %), la Chine (17 %) et l’Argentine (7,5 %). À quoi il faut ajouter la « domination quasi monopolistique de la Chine sur le raffinage de qualité batterie (…), vecteur de tensions alors que le marché de l’électromobilité monte en puissance », diagnostique une étude de l’Ifri.

Un an et demi plus tard, de nouvelles projections sont venues affaiblir le rêve d’une souveraineté européenne. Remis au gouvernement français le 10 janvier dernier, le rapport Varin sur la « sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales » estime en effet que le degré d’autonomie pour le lithium, le nickel et le cobalt en Europe ne devrait pas excéder 20 à 30 % en 2030.

Et pour cause, la relance de l’activité minière avance à reculons. Au Portugal, un projet de mine de lithium géante a été suspendu fin 2021 sous la pression des populations locales, qui craignent un désastre écologique. En janvier 2022, c’est au tour du groupe minier Rio Tinto de jeter l’éponge en Serbie. « Cette difficulté provient en partie de notre prise de conscience tardive du lien entre matières premières et transition énergétique », commente le journaliste Guillaume Pitron, auteur de L’Enfer numérique (Les Liens qui Libèrent, 2021). Au-delà des aspects économiques et géostratégiques, il y aurait selon lui un argument moral consistant à « assumer le coût écologique des mines à la hauteur de la consommation de ces métaux », ce qui nous amènerait sans doute à agir pour réduire ces impacts devenus plus visibles. À moins que le fait de revoir les objectifs de production de batteries à la baisse et de miser plutôt sur la sobriété et le recyclage (voir plus bas notre scénario 3) ne rende les objectifs d’autosuffisance plus facilement atteignables pour l’Europe ?

Scénario 2 : Un lithium « responsable » que tout le monde s’arrache

Du lithium plus « vert » ? L’adjectif peut sembler impropre lorsqu’on sait que l’extraction d’une tonne de métal blanc engloutit plusieurs centaines de milliers de litres d’eau dans les gigantesques bassins d’évaporation des déserts de sel (45 % de la production mondiale) et émet 15 tonnes de CO2 lorsqu’il est issu des roches dures (55 % de la production mondiale). Et pourtant, voilà qu’une poignée d’industriels se met à promouvoir une extraction « zéro carbone » (la start-up australienne Vulcan Energy en Allemagne) ou « responsable » (le géant minier français Eramet en Alsace) et, cerise sur le gâteau, « made in Europe ».

À partir de 2024, les batteries mises sur le marché de l’Union européenne devront annoncer leur empreinte carbone.

Ce lithium ne provient ni de mines ni de salars (lacs superficiels dont les sédiments sont essentiellement constitués par des sels, ndlr), mais des eaux souterraines. Celles du bassin rhénan, à la frontière franco-allemande, ont été particulièrement bien servies par la géologie : plusieurs centaines de milliers de tonnes de lithium exploitable y circuleraient sous forme dissoute selon les estimations du BRGM, le service géologique national. Pour le récupérer, les industriels ont adossé des unités d’extraction dotées de systèmes de filtration à des centrales géothermiques qui pompent ces eaux (pour produire de la chaleur ou de l’électricité renouvelable). En 2021, des démonstrateurs ont prouvé avec succès la viabilité technique du procédé. Prochaine étape, s’assurer de sa rentabilité, ce qui impliquerait notamment de « monter en échelle pour atteindre au moins 10 000 tonnes de carbonate de lithium par an  », avant de «  lancer l’exploitation commerciale en 2026  », indique Nicolas Verdier, responsable à la direction de la stratégie d’Eramet. 

Ce procédé, dit d’« extraction directe », s’applique également aux saumures des déserts de sel en Amérique du Sud. Dans sa concession argentine, le groupe français vise une capacité de production de 24 000 tonnes à partir de 2024. Et ce tout en préservant la ressource en eau dans des régions arides. De quoi étoffer la production de lithium «  extrait de manière responsable, avec une traçabilité complète », expose Nicolas VerdierEt surtout conforme aux futures réglementations européennes : à partir de 2024, les batteries mises sur le marché de l’Union européenne devront annoncer leur empreinte carbone, et des seuils maximaux devront être respectés dès 2027. Pour les constructeurs automobiles, il y a urgence à se placer sur le créneau. Renault, Stellantis et Volkswagen ont déjà signé des accords d’approvisionnement avec Vulcan, pour un début de livraison prévu en 2026. 

Véhicule électrique en charge

Ce type de procédé ouvre la voie à une diversification des gisements exploités. Demain, il pourrait prouver son intérêt jusque dans les saumures faiblement concentrées des déserts de sel (jugées non rentables à l’heure actuelle) ou encore dans les eaux de production pétrolière, nous apprend Jean-Philippe Gibaud, fondateur de la start-up française Geolith, qui met au point des cartouches filtrantes pour capter le lithium de n’importe quel type de fluide. 

Scénario 3 : Et si la principale source de lithium était d’origine recyclée ?

En Europe, au moins deux projets portés par des consortiums (Veolia, Solvay et Renault d’un côté, Eramet et Suez de l’autre) planchent sur des procédés de recyclage en boucle fermée permettant de récupérer le lithium des batteries des voitures électriques en fin de vie pour en fabriquer de nouvelles. Une usine pourrait sortir de terre dès 2026, révèle Nicolas Verdier : « Si on se projette très loin, au-delà de 2040–2050, quand on aura constitué suffisamment de stocks de batteries usagées, le recyclage pourra jouer une part extrêmement importante de l’approvisionnement. On peut en effet recycler ces métaux quasiment intégralement ». À condition, souligne-t-il, que celles-ci restent sur le sol européen une fois hors d’usage.

L’UE encourage la tendance. En 2030, les batteries mises sur le marché européen devront contenir au minimum 4 % de lithium recyclé, puis 10 % en 2035. Reste à savoir si l’activité sera rentable. « Le recyclage est intéressant tant que le lithium [primaire] est cher, mais dans une logique de prix relativement stable ou de hausse continuelle du prix du lithium primaire, fait remarquer Guillaume Pitron. Qui dit qu’il sera aussi élevé demain ? » 

La principale concurrente à la batterie lithium-ion, à base de sodium, gagne du terrain

Raison de plus pour miser sur la sobriété. En décembre 2021, une étude publiée par des chercheurs de l’Université de Stanford a fait naître un nouvel espoir pour allonger l’espérance de vie des batteries, en « ressuscitant » le lithium inactif. Les scientifiques se sont rendu compte qu’une décharge rapide juste après la fin d’un cycle de charge faisait migrer des « îlots » de lithium isolés, suffisamment pour les reconnecter à l’anode et les réactiver. La durée de vie de la batterie a ainsi pu être prolongée de 30 %. La cleantech française PowerUp mise quant à elle sur une gestion intelligente du processus de charge des batteries, affirmant que leur durée de vie pourrait doubler de cette façon. En 2021, elle a déjà commercialisé une solution pour de petites batteries lithium-ion de secours.

Bien sûr, tout ceci ne vaut que si le lithium reste un métal stratégique. Car la principale concurrente à la batterie lithium-ion, à base de sodium – soit l’un des deux composés du sel de table, autrement plus accessible que le lithium ! – gagne du terrain. En juillet 2021, le géant chinois CATL a dévoilé son modèle de batterie sodium-ion en annonçant une commercialisation dès 2023. Seul bémol, une densité énergétique (pour l’instant) plus faible que sa concurrente au lithium. La start-up française Hive, elle, planche actuellement sur des batteries métal-ion (avec des métaux communs), garanties sans terres rares ni lithium. Et si la guerre de l’or blanc n’avait finalement pas lieu ?

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