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Automatisation des mines en Afrique : opportunités et menaces

En 2020, la pandémie de Covid-19 a ralenti durant des semaines, voire des mois, de nombreuses opérations minières à travers le monde. En effet, pour éviter la propagation du virus, les autorités ont imposé des mesures comprenant restrictions de déplacement, fermeture de frontières ou encore confinement. Si aujourd’hui tout revient progressivement à la normale, l’industrie minière, soucieuse de tirer les leçons de cette crise, examine plus que jamais les enjeux d’une automatisation. Et dans ce domaine, l’Afrique, en vrai pionnière, a beaucoup à apprendre au reste du monde… Cependant, les craintes ou menaces sur l’emploi et les revenus des Gouvernements devront être analysées en profondeur.

Kibali en RDC, Syama au Mali

En Afrique, certaines compagnies avaient déjà compris depuis un bon moment l’utilité d’une automatisation partielle ou totale des opérations minières. En RDC par exemple, Barrick, qui a fusionné en 2019 avec Randgold Resources, revendique avec sa mine d’or de Kibali le statut de leader mondial de l’exploitation minière souterraine automatisée.

Kibali mine

En RDC, la mine d’or de Kibali revendique le statut de leader mondial de l’exploitation minière souterraine automatisée.

Fruit d’un processus entamé peu après la mise en service de la mine d’or en 2013, l’automatisation de Kibali a été achevée en 2017. Elle constitue une rupture avec le modèle traditionnel de fonctionnement des mines souterraines en Afrique, marqué par une présence importante de personnel humain à des centaines de mètres sous terre. La technologie mise en place a été développée par Murray Engineering en Australie et adaptée à Kibali par Byrnecut Offshore, la société de services miniers active à l’époque sur le site. Elle consiste entre autres en l’utilisation de véhicules automatiques, chargés de l’extraction du minerai. Ils sont dirigés par du personnel humain logé à l’abri dans des cubes de béton. Le minerai extrait est ensuite transporté à la surface suivant un parcours où n’intervient à aucun moment la main humaine.

Barrick a cité une nouvelle fois l’automatisation des opérations comme un des facteurs qui lui ont permis de dépasser « largement » en 2020 ses prévisions de production.

Le système entier a depuis été amélioré par d’autres avancées technologiques, notamment des machines chargées des excavations qui fonctionnent simultanément, ou encore un projet de stabilisation de réseau qui assure une efficacité énergétique. Tout récemment, Barrick a cité une nouvelle fois l’automatisation des opérations comme un des facteurs qui lui ont permis de dépasser « largement » en 2020 ses prévisions de production en livrant à Kibali pas moins de 808 134 onces d’or.

Mine de Syama au Mali

Au Mali, Syama se veut la mine d’or la plus avancée et la plus sophistiquée du continent.

Aussi innovatrice qu’elle soit dans son mode de fonctionnement, la mine souterraine de Kibali n’est pas la seule opération minière qui fait appel à l’automatisation en Afrique. La société australienne Resolute Mining revendique de son côté de détenir, avec son projet aurifère de Syama au Mali, la mine d’or la plus avancée et la plus sophistiquée du continent. Il faut dire que la mine construite sur mesure est considérée comme la première mine entièrement automatisée au monde.

Syama

La mine Syama fait office de pionnière de l’automatisation totale des opérations minières.

C’est John Welborn, nommé à la tête de l’entreprise Resolute en 2016, qui a donné l’impulsion à ce projet, grâce à la signature de deux accords de partenariat avec Rock Technology et Sandvik en 2018. Comme à Kibali, les solutions proposées comprennent la planification, l’analyse, l’optimisation et l’automatisation des processus d’extraction et de transport. Aujourd’hui dans le monde, la mine Syama fait office de pionnière de l’automatisation totale des opérations minières et plusieurs compagnies cherchent à s’inspirer de son modèle.

Profitable à plusieurs égards

Si la question de l’automatisation revient de plus en plus dans les débats au sein de l’industrie minière, c’est en raison des problèmes d’accès aux sites miniers dans des contextes de crise comme celui de la pandémie de covid-19. De manière basique, automatiser les opérations permet continuer d’opérer à tout moment, car les humains n’ont pas besoin d’aller sur le site, mais peuvent contrôler les machines à distance.

De manière basique, automatiser les opérations permet continuer d’opérer à tout moment, car les humains n’ont pas besoin d’aller sur le site, mais peuvent contrôler les machines à distance.

Pourtant, le problème de l’accès n’est pas le seul que résout l’automatisation. Déjà, les machines sont beaucoup plus efficaces que les hommes. Pour Resolute par exemple, les différents systèmes de communication et d’information associés aux machines installées permettent une meilleure planification des activités, un gain de productivité et une efficacité accrue gage de meilleures performances. Cela se répercute sur les finances de la compagnie avec une réduction des coûts de production, et une plus grande durée de vie pour les équipements utilisés, en raison des accidents moins fréquents. Dans l’étude de faisabilité actualisée de Syama, publiée après la signature de l’accord avec Sandvik et Rock Technology, Resolute signale ainsi que le coût global pour chaque once produite est passé de 881 $ à 746 $. Ceci constitue des millions de dollars d’économies sur la durée de vie de la mine.

Resolute signale ainsi que le coût global pour chaque once produite est passé de 881 $ à 746 $. Ceci constitue des millions de dollars d’économies sur la durée de vie de la mine.

En outre, les compagnies ne sont plus obligées d’embaucher de la main-d’œuvre expatriée et onéreuse pour travailler dans les mines en cas d’inexistence de travailleurs qualifiés au niveau local. Alors que le nombre d’employés dont elles ont besoin est considérablement réduit, elles peuvent former le personnel local pour les tâches manuelles et réduire davantage les coûts.

Par ailleurs, comme autre avantage et non des moindres, l’automatisation des activités permet d’éliminer le risque lié à une présence humaine importante sur les sites miniers. Le cauchemar que constituaient les risques d’éboulement ou d’effondrement des infrastructures est limité en cela que le personnel n’est désormais réduit qu’aux seuls employés qui doivent interagir avec les machines. Ces derniers ne sont pas présents sur la mine et assurent cette tâche à distance.

Le cauchemar que constituaient les risques d’éboulement ou d’effondrement des infrastructures est limité en cela que le personnel n’est désormais réduit qu’aux seuls employés qui doivent interagir avec les machines.

Le nombre de pertes en vies humaines liées à un accident minier est considérablement réduit pour une opération entièrement automatisée comme Syama au Mali.

Menaces: l’épineuse question des pertes d’emplois et de recettes

Les profits générés par l’automatisation des opérations minières, de la productivité à la sécurité, sont tellement évidents qu’il est tout à fait légitime de se demander pourquoi le nombre de compagnies qui se lancent sur cette voie se compte sur le bout des doigts. Selon John Welborn, PDG de Resolute, cela peut être imputable à l’attitude conservatrice des acteurs du secteur minier d’une manière générale. Ces derniers ont tendance à penser qu’il faut se concentrer sur l’amélioration d’une méthode d’exploitation qui fonctionne plus que sur sa modification complète. Difficile de leur donner tort, car arrêter une mine assez longtemps pour implémenter un programme d’automatisation est loin d’être facile.

Les machines sont beaucoup plus efficaces que les hommes.

D’autres facteurs sont aussi à prendre en compte. Evoquons notamment la question de l’interaction avec les équipements automatisés qui pose problème à certains niveaux ou encore celle de la formation du personnel aux nouvelles tâches. Toutefois, tous ces facteurs sont minimes devant l’épineux problème que représentent les potentielles pertes d’emplois. Resolute et Barrick affirment avoir surmonté cet obstacle en réorientant le personnel affecté vers d’autres tâches plus qualifiées comme la maintenance.

« L’automatisation est souvent associée à une réduction de l’emploi, mais, en ce qui nous concerne, nous nous en servons comme une opportunité pour le perfectionnement professionnel de nos travailleurs et la réduction de nos besoins en experts expatriés », a expliqué en octobre dernier Mark Bristow, PDG de Barrick.

« L’automatisation est souvent associée à une réduction de l’emploi, mais, en ce qui nous concerne, nous nous en servons comme une opportunité pour le perfectionnement professionnel de nos travailleurs et la réduction de nos besoins en experts expatriés »

Cependant, imaginer que tous les employés affectés ou qui le seront bientôt sur d’autres opérations en Afrique ou dans le monde seront inclus dans ce genre de plan de conversion est assez utopique. A une époque où les populations locales sont capables, par leur seul véto, de bloquer un projet minier ou ralentir le calendrier de développement des compagnies, ces dernières doivent faire leur possible pour avoir leur soutien.

Le problème fondamental qui risque de survenir pour beaucoup de pays pauvres, est que même si de nouveaux emplois hautement qualifiés sont créés, les travailleurs issus des communautés voisines seront mis au dé de pourvoir les postes. C’est ainsi que le Forum Economique Mondial (FEM) estimait qu’entre 2016 et 2025, il y aurait environ 330 000 emplois perdus dans les industries minière et métallurgique à l’échelle mondiale, soit 5 % des emplois actuels dans le secteur.

Selon Aron Cosbey de Intergovernmental Forum on Mining, Minerals, Metals and Sustainable Development (IGF) : « Certaines nouvelles technologies, comme l’automatisation et les drones, remplaceront la main-d’œuvre. D’autres, comme l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, les capteurs intelligents et l’apprentissage automatique, augmenteront la productivité sans perte d’emplois significative. La même technologie aura des impacts différents dans différents contextes. Par exemple, des économies plus diversifiées ressentiront les impacts sur le travail moins sévèrement, et certaines technologies seront déployées à des rythmes différents dans différents contextes ».

Interrogé en janvier dernier par Agence Ecofin en marge du SIM Sénégal Virtuel 2021 sur l’importance qu’aura le permis social d’opérer, dans la pleine automatisation des mines en Afrique, Jeff Geipel, DG d’Engineers Without Borders, a admis que le défi sera grand pour les compagnies minières. Selon lui, l’automatisation entrainera la perte de la moitié des emplois miniers actuels et il faudra, pour les sociétés, compenser de manière réfléchie, en investissant davantage dans le social pour que les communautés locales continuent à bénéficier de l’exploitation des ressources.

Illustration adaptée de IGF (New tech, New deal project)

Il est dès lors important d’avancer quelques pistes de réflexion, et les réponses varieront d’un endroit à l’autre. La formation et l’éducation peuvent faire partie de la réponse, tout comme les politiques de mise en place d’infrastructures partagées avec les communautés. D’autres possibilités peuvent consister à inciter les sociétés minières à agir en tant que facilitateurs du développement économique non lié à l’exploitation minière; la mise en place d’impôts plus élevés ou des structures d’actionnariat différentes; ainsi qu’une mise en œuvre accrue des politiques de contenu local telles que l’emploi local, les achats ou le traitement local des produits bruts ou semi-finis.

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