Economie

Que faire pour bénéficier des supers profits du Cobalt

Article republié

TRIBUNE – Lors de sa dernière interview sur RFI, le Premier ministre a dit qu’ « aujourd’hui, on parle de superprofit. C’est l’occasion de revenir là-dessus. Pour dire que le cadre légal parle de superprofit, comment on adapte cela ? D’ailleurs, c’est l’occasion d’en parler parce que nous avons des cours qui ont augmenté et nous voulons en tirer profit ».

Une noble intention qui peut malheureusement, si elle n’est pas bien comprise par les acteurs, engendrer des conflits qui ne feront que détériorer encore plus le climat des affaires déjà délétère.

En effet, lorsque l’on parle de superprofit dans le secteur minier, la plupart des acteurs pensent faussement, et les paroles du Premier ministre peuvent les conforter à ce sujet, qu’il suffit de voir les cours mondiaux d’un minerai augmenté de manière exceptionnelle pour voir la RDC bénéficier automatiquement de l’impôt spécial sur les profits excédentaires des entreprises minières.

A l’heure actuelle, avec des cours du cobalt qui sont passés de 33 000 USD/T début janvier à 52 000 USD/T début août 2021, soit une hausse 57%, certaines personnes se frottent déjà les mains au vu de la manne appelée « impôt spécial sur les profits excédentaires ».

Pourtant, l’effectivité de cet impôt dépend de plusieurs autres critères qui ne sont pas toujours connus ou maîtrisés par les acteurs. Il est donc essentiel de les expliquer de manière pédagogique afin que non seulement cette notion soit comprise par tous mais aussi que les décideurs prennent des mesures de suivi pour, éventuellement, en faire bénéficier à la République sans pour autant préjudicier l’investisseur.

PRINCIPES

Principe de base sur l’impôt sur les bénéfices et profits

Selon l’article 247 du code minier l’impôt sur les bénéfices et profits sont fixés au taux de 30%. Cet impôt est calculé sur les bénéfices réalisés par l’entreprise au cours d’un exercice comptable donné.

L’impôt sur les bénéfices et profits est pour les entreprises ce qu’est l’impôt professionnel sur les rémunérations « IPR » pour les personnes physiques. À titre illustratif, le tableau ci-dessous permet de saisir de manière élémentaire, la notion de l’ « impôt sur les bénéfices et profits ».

RDC : hausse de cours de cobalt de 57%, que faire pour bénéficier des supers profits ? 14

Principe de base sur les profits excédentaires

Quant aux profits excédentaires dans le secteur minier, ils surviennent quand les cours mondiaux d’un minerai connaissent un accroissement exceptionnel supérieur à 25% par rapport à ceux repris dans l’étude de faisabilité bancable du projet.

Dans ce cas, l’exploitant minier est tenu de payer un impôt spécial sur les profits excédentaires imposables au taux de 50% comme l’exige l’article 251 bis du Code minier.

PS : Pour obtenir un permis d’exploitation, le requérant doit joindre à sa demande au cadastre minier, l’étude de faisabilité de l’exploitation du gisement. Art. 69 (C) du Code minier. Il est donc sous-entendu que le cadastre minier possède les études de faisabilité validées pour tous les permis d’exploitation octroyés en RDC qui comprennent notamment (1) le compte d’exploitation prévisionnel assorti des détails sur les coûts opérationnels, (2) le programme séquentiel des opérations d’exploitation au regard des objectifs de production et (3) le plan de commercialisation des produits et frais correspondants.

Cependant, le règlement minier, à son article 530 bis al.6, précise que l’impôt spécial sur les profits excédentaires ne s’applique que si le prix de vente moyen effectif du produit pour l’exercice comptable excède de plus de 25% le prix de vente moyen du produit pour l’année tel que prévu dans l’étude de faisabilité.

Ainsi, il ne suffit pas de constater un accroissement exceptionnel de 25% des cours du minerai par rapport à ce qui est prévu dans l’étude de faisabilité, encore faut-il que l’exploitant vende le minerai à plus de 25% par rapport au prix prévu dans l’étude de faisabilité.

En effet, l’accroissement des cours d’un minerai à plus de 25% ne signifie pas automatiquement que l’exploitant vend le minerai à plus 25% par rapport au prix qu’il avait prévu de vendre dans son étude de faisabilité.

Quant au mode de calcul, l’article 530 bis al.1stipule que « l’excédent brut d’exploitation qui sert d’assiette de l’impôt spécial sur les profits excédentaires est constitué par la différence entre le montant de l’excédent brut d’exploitation de l’exercice comptable considéré diminué du montant de l’excédent brut d’exploitation dégagé par l’étude de faisabilité bancable du projet minier pour cette même année, ce dernier montant augmenté de 25%. »

Au regard de ces dispositions, nous pouvons donc établir que les critères quant à l’application de l’impôt spécial sur les profits excédentaires dans le secteur minier de la RDC sont :

  • accroissement exceptionnel des cours du minerai supérieur à 25% par rapport à ceux repris dans l’étude de faisabilité bancable du projet ; 
  • accroissement du prix de vente moyen effectif supérieur à 25% par rapport au prix du vente moyen annuel prévu dans l’étude de faisabilité ; 
  • excédent brut d’exploitation de l’exercice comptable supérieur de 25% ou plus par rapport à l’excédent brut d’exploitation dégagé par l’étude de faisabilité.

Au regard de ces critères, il ressort clairement que l’élément essentiel ici est l’étude de faisabilité. Il s’agit du document de référence sur lequel on se base pour fixer la hauteur de l’accroissement des cours du minerai et l’augmentation du prix de vente au regard de cet accroissement.

En gros, l’accroissement des cours d’un minerai sur le marché mondial n’est pas synonyme d’un profit excédentaire. Tout dépend du niveau de cet accroissement par rapport aux données contenu dans l’étude faisabilité.

ILLUSTRATIONS

Pour une meilleure compréhension, deux tableaux ci-dessous montrent que l’un répond aux critères d’application de l’impôt spécial sur les profits excédentaires et l’un n’y répond pas.

Illustration n°1 : Paiement de l’impôt spécial sur les profits excédentaires

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Analyse des critères sur l’application de l’impôt spécial sur les profits excédentaires.

Critère n°1 : Accroissement exceptionnel des cours du minerai supérieur à 25% par rapport à ceux repris dans l’étude de faisabilité bancable du projet.

Le cours du minerai prévu dans l’étude de faisabilité est de 33 000 USD tandis que le cours du minerai moyen annuel est de 45 000 USD, soit un accroissement de 36%.

Critère n°2 : Accroissement du prix de vente moyen effectif supérieur à 25% par rapport au prix du vente moyen annuel prévu dans l’étude de faisabilité. Le prix de vente moyen annuel du minerai prévu dans l’étude de faisabilité de 34 000 USD tandis que le prix de vente moyen effectif du minerai pour l’exercice comptable est de 45 000 USD, soit une hausse 32%.

Critère n°3 : Excédent brut d’exploitation de l’exercice comptable supérieur ou égale 25% par rapport à l’excédent brut d’exploitation dégagé par l’étude de faisabilité. L’excédent brut d’exploitation de l’exercice comptable est de 2 700 000 USD tandis que l’excédent brut d’exploitation prévu dans l’étude de faisabilité est de 2 100 000 USD, soit une augmentation de 28%.

Ainsi, comme on peut le constater, (1) l’accroissement exceptionnel des cours du minerai est supérieur à 25% par rapport à ceux repris dans l’étude de faisabilité bancable du projet, (2) le prix de vente moyen effectif du produit pour l’exercice comptable excède de plus de 25% du prix de vente moyen annuel du produit tel que prévu dans l’étude de faisabilité et (3) l’excédent brut d’exploitation de l’exercice comptable est de plus de 25% supérieur par rapport à l’excédent brut d’exploitation dégagé par l’étude de faisabilité.

Au regard de ce constat, l’impôt spécial sur les profits excédentaire est donc applicable pour le présent cas.

Illustration n°2 : Non-paiement de l’impôt spécial sur les profits excédentaires

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Analyse des critères sur l’application de l’impôt spécial sur les profits excédentaires.

Critère n°1 : Accroissement exceptionnel des cours du minerai supérieur à 25% par rapport à ceux repris dans l’étude de faisabilité bancable du projet.

Le cours du minerai prévu dans l’étude de faisabilité est de 33 000 USD tandis que le cours du minerai moyen annuel est de 45 000 USD, soit un accroissement de 36% à ce qui est prévu dans l’étude de faisabilité.

Critère n°2 : Prix de vente moyen effectif du produit pour l’exercice comptable excède de plus de 25% le prix de vente moyen annuel du produit tel que prévu dans l’étude de faisabilité.

Le prix de vente moyen annuel du minerai prévu dans l’étude de faisabilité de 34 000 USD tandis que le prix de vente moyen effectif du minerai pour l’exercice comptable est de 45 800 USD, soit une hausse 32% à ce qui prévu dans l’étude de faisabilité.

Critère n°3 : Excédent brut d’exploitation de l’exercice comptable supérieur ou égale 25% par rapport à l’excédent brut d’exploitation dégagé par l’étude de faisabilité.

L’excédent brut d’exploitation dégagé dans l’étude de faisabilité est de 2 100 000 USD tandis que l’excédent brut d’exploitation dégagé pour l’exercice comptable est de 2 450 000 USD, soit une hausse de seulement 16% à ce qui prévu dans l’étude de faisabilité.

Ainsi, comme vous pouvez le constater, même si l’accroissement exceptionnel des cours du minerai est supérieur à 25% par rapport à ceux repris dans l’étude de faisabilité bancable du projet et que le prix de vente moyen effectif du produit pour l’exercice comptable est de de plus de 25% du prix de vente moyen annuel du produit tel que prévu dans l’étude de faisabilité, l’excédent brut d’exploitation dégagé pour l’exercice comptable constitue une hausse certes, mais de moins de 25% par rapport l’excédent brut d’exploitation dégagé dans l’étude de faisabilité.

Ce dernier critère n’étant pas encore remplis, l’impôt spécial sur les profits excédentaire n’est donc pas applicable pour le présent cas.

CONCLUSION

On ne peut pas conclure de manière hâtive que la RDC sera bénéficiaire de l’impôt spécial sur les profits excédentaire car les cours du cobalt sont passés de 33 000 USD/T à plus de 50 000 USD/T.

En effet, au regard de la présente analyse, tout dépend en définitive des éléments contenus dans l’étude de faisabilité de chaque exploitation ainsi que les recettes et les dépenses réelles d’exploitation.

Ainsi, la réaction que la RDC doit avoir vis-à-vis de la hausse du prix du cobalt, n’est pas de s’extasier ou de se frotter les mains en attendant les prochaines échéances fiscales, mais d’entamer des actions précises pour ne pas être prise au dépourvue et agir en conséquence au regard des prochaines échéances fiscales.

RECOMMANDATIONS

Mes recommandations s’adressent au ministère des mines et à la Direction Générale des Impôts.

  • Répertorier tous les permis d’exploitation, permis d’exploitation de la petite mine et de permis d’exploitation de rejet, du minerai de cobalt qui sont réellement effectif (extraction- traitement-vente) ainsi que leurs études de faisabilité afin d’établir au regard de chaque permis le prix de vente ainsi que les cours du cobalt prévus dans l’étude de faisabilité ;
  • Établir un canevas de suivi quasi-quotidien des cours du cobalt qui permettra d’avoir, au 1 janvier 2022, de manière automatique, le cours moyen du cobalt durant l’année 2021.
  • Établir un canevas de suivi, par titre d’exploitation, de vente de cobalt afin d’obtenir de manière automatique au 1 janvier 2022, le prix moyen du cobalt vendu par exploitant sur chaque titre d’exploitation effective ;
  • Faire des études prospectives sur les minerais clef tels que le cuivre, le cobalt, lithium, tantale, or, diamant, afin d’appréhender les possibilités de fluctuation de leurs prix dans l’avenir. Des études sur lesquelles pourra s’appuyer le cadastre minier lors de l’analyse des études de faisabilité des projets miniers ;
  • Constituer une équipe multi-acteurs (Ministère des mines-FEC- Société civile-Ministère des finances) qui va exécuter les recommandations ci-haut afin d’éviter les incompréhensions sur les notions et les méthodes de calcul ayant trait à l’impôt spécial sur les profits excédentaires.

Vaut mieux prévenir que guérir !

ENGUNDA IKALA, Juriste

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